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Suite et fin de la saga relative à l’Inspection générale de la Justice ?

Civil - Procédure civile et voies d'exécution
03/04/2018
Par un arrêt attendu, le Conseil d’État se prononce sur la légalité des textes réglementaires de 2016 relatifs à l’Inspection générale de la Justice. Mais si elle est validée dans son principe, la mission de cet organe ne concernera pas la Cour de cassation. Le point sur les motifs retenus par le juge administratif.
En excluant la Cour de cassation du cercle de compétences de l’Inspection générale de la Justice (IGJ), le Conseil d’État dissipe une partie des tensions provoquées par la création de cet organe placé auprès du garde des Sceaux, chargé d’assurer, de manière permanente, des missions d’inspection, de contrôle, d’étude, de conseil et d’évaluation (voir ici notre actualité du 07/12/2016).
Plusieurs syndicats notamment de magistrats ont demandé au Conseil d’État d’annuler le décret et l’arrêté du 5 décembre 2016 portant création de l’inspection générale de la Justice (D. n° 2016-1675, 5 déc. 2016, JO 6 déc. ; Arr. 5 déc. 2016, NOR :  JUST1635442A, JO 6 déc.). Après avoir statué sur la recevabilité des requêtes formulées, le juge administratif rejette les principaux moyens développés au soutien de la contestation de la légalité, tant externe, qu’interne du décret.
 

I. Légalité externe du décret


Absence de consultation préalable du Conseil d’État. — Il était notamment reproché une absence de consultation préalable du Conseil d’État (Const. 1958, art. 38, 39 et 74-1 ; C. just. adm., art. L. 112-1). Le juge administratif indique à ce titre que le texte, qui ne fixe pas de règles relatives au statut de la magistrature, n’a pas été pris pour l’application de l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature (Ord. n° 58-1270, 22 déc. 1958, JO 23 déc.). Sont sans incidence à cet égard, la circonstance que cette dernière, dans sa rédaction issue de la loi organique du 8 août 2016 (L. O. n° 2016-1090, 8 août 2016, JO 11 août), fasse référence à plusieurs l’IGJ et le fait qu’elle soit mentionnée dans les visas du décret attaqué. Aucune autre disposition ou principe n’imposant que l’adoption du décret attaqué, dont les dispositions ne relevaient pas du domaine de la loi, soit précédée de la consultation du Conseil d’État, le moyen devait être écarté.

Absence de consultation préalable du comité technique spécial. — A également été rejeté, le grief lié au défaut de consultation préalable du comité technique spécial de service placé auprès du premier président de la Cour de cassation (Arr. 22 juin 2011, NOR : JUSB1114719A, JO 25 juin). Le raisonnement était le suivant : ce comité est compétent pour connaître de toutes les questions concernant cette dernière dans le cadre des dispositions du décret du 15 février 2011 (D. n° 2011-184, 15 févr. 2011, JO 17 févr.). Or, aux termes de l’article 34 de ce dernier texte, les comités techniques doivent être sur les questions et projets de textes relatifs notamment à l’organisation et au fonctionnement des administrations, établissements ou services. Il aurait donc dû être consulté dans le cadre de la création de l’IGJ. Mais comme le relève le Conseil d’État, « si le décret attaqué a pour effet d’inclure la Cour de cassation parmi les juridictions de l’ordre judiciaire sur lesquelles l’Inspection générale de la Justice exerce sa mission permanente d’inspection, il n’a, par lui-même, ni pour objet ni pour effet de régir l’organisation ou le fonctionnement de cette juridiction ». Partant, sa consultation préalable n’était pas nécessaire.
 

II. Légalité interne du décret



Conditions de validité d’un organe d’inspection. — Le Conseil d’État positionne la problématique à trancher, en rappelant les conditions dans lesquelles il est possible de créer un organe rattaché au garde des Sceaux, chargé d’une mission d’inspection et d’évaluation. Il énonce ainsi que le principe de la séparation des pouvoirs et l’article 64 de la Constitution « n’interdisent pas la création, auprès du ministre de la Justice, d’un organe appelé à contrôler ou à évaluer l’activité des juridictions judiciaires, à condition que celui-ci apporte, par sa composition, le statut de ses membres, son organisation ainsi que les conditions et les modalités de son intervention, les garanties nécessaires au respect de l’indépendance de l’Autorité judiciaire et que ses investigations ne le conduisent pas à porter une appréciation sur un acte juridictionnel déterminé. Ces principes n’interdisent pas davantage la présence, au sein d’un tel organe, d’inspecteurs extérieurs à la magistrature judiciaire justifiant de qualifications adéquates, dès lors que les investigations portant sur le comportement d’un magistrat sont conduites par un inspecteur ayant lui-même cette qualité et que celles qui portent sur l’activité juridictionnelle d’une juridiction le sont sous l’autorité directe d’un tel inspecteur ».
Après avoir rappelé les termes des articles 1 et 2 du décret du 5 décembre 2016 ‘(précité), le Conseil d’État s’attache donc à déterminer si des garanties suffisantes ont été prévues lors de la création de l’IGJ.

Respect des conditions relatives à la composition et au statut des membres de l’IGJ. — S’il est vrai que l’ensemble des membres de l’IGJ n’ont pas la qualité de magistrats (D. 5 déc. 2016, précité, art. 8), le décret précise que seuls des inspecteurs généraux et inspecteurs qui ont la qualité de magistrat peuvent conduire les inspections et contrôles de juridictions de l’ordre judiciaire (art. 14). Il en est de même des enquêtes portant sur le comportement personnel ou professionnel des magistrats, sachant qu’au moins l’un des inspecteurs doit avoir un rang au moins égal à celui du magistrat concerné (art. 15). La Conseil d’État rappelle en outre qu’en application des dispositions combinées des articles 65 de la Constitution et 38 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 (précitée), les inspecteurs généraux et les inspecteurs ayant la qualité de magistrats, qui sont soumis au statut de la magistrature et bénéficient des garanties d’indépendance prévues par ce dernier, sont nommés à l’IGJ par le ministre de la Justice après avis du Conseil supérieur de la magistrature.

Respect des conditions relatives aux missions et aux modalités d’intervention de l’IGJ — Le Conseil d’État relève  que le garde des Sceaux a compétence pour arrêter, sur proposition du chef de l’IGJ, le programme annuel des missions de l’Inspection (D. 5 déc. 2016, précité, art. 11) et qu’il appartient au ministre de la Justice de décider des modalités de diffusion des rapports remis (art. 18) et de valider les préconisations qui doivent faire l’objet d’un suivi (art. 19). Il lui revient également de fixer les règles d’organisation et de fonctionnement de l’IGJ, y compris « les principes directeurs » selon lesquels ses missions sont organisées (Arr. 5 déc. 2016, précité, art 7 à 12). Mais outre le fait qu’il ne s’agisse sur ce dernier point, que de fixer des modalités d’organisation administrative, il s’avère que l’IGJ détermine seule les principes méthodologiques selon lesquels ces missions sont conduites et arrête librement ses constats, analyses et préconisations (art. 13) et que c’est au chef de l’Inspection générale qu’il incombe de répartir les missions entre les membres de l’inspection (art. 9). De plus, si le garde des Sceaux a la possibilité de faire diligenter une enquête non prévue dans le programme annuel, l’Inspection générale de la Justice, dans le cadre de la mission permanente d’inspection et de contrôle n’est pas soumise à la demande ou à l’autorisation préalable du ministre pour décider d’elle-même de procéder à un contrôle ou une enquête, y compris sur la manière de servir d’un magistrat. Enfin, le Conseil d’État souligne que les enquêtes conduites par l’IGJ, « par elles-mêmes », n’ont d’effet ni sur les droits et prérogatives des magistrats concernés, ni sur l’exercice de leurs fonctions en raison de l’intervention nécessaire du Conseil supérieur de la magistrature en ce qui concerne tant les mutations, que les sanctions disciplinaires. Le Conseil d’État considère qu’il en résulte que « l’Inspection générale ne saurait recevoir d’instruction du garde des Sceaux, ministre de la Justice, sur la manière de conduire une inspection une fois que celle-ci a été diligentée ».
S’agissant enfin de l’arrêté qui précise les modalités d’organisation de l’inspection et ses missions, le Conseil d’État juge qu’il apporte des garanties suffisantes s’agissant du caractère contradictoire des enquêtes et du respect de l’indépendance de l’autorité judiciaire (Arr. 5 déc. 2016, précité, art. 10). Ainsi, contrairement à ce qui était soutenu, l’obligation d’établir de manière contradictoire les rapports résultant des missions conduites concerne non seulement les missions de contrôle des organismes, services et juridictions, mais aussi les missions d’inspection et, notamment, les missions d’enquête qui portent sur la manière de servir des personnels. En outre, les guides méthodologiques élaborés par l’inspection pour les enquêtes administratives portant sur des magistrats et sur d’autres personnels précisent les garanties prévues pour assurer leur caractère contradictoire. Le moyen tiré de ce que l’arrêté attaqué n’apporterait pas les garanties suffisantes s’agissant du caractère contradictoire des enquêtes et du respect de l’indépendance de l’autorité judiciaire doit donc être écarté.

Absence de garanties suffisantes concernant la Cour de cassation. — Le Conseil d’État censure en revanche l’article 2 du décret du 5 décembre 2016 (précité), en ce qu’il n’exclut pas la Cour de cassation du champ de la mission permanente de l’Inspection. Rappelant notamment les termes des articles L. 411-1 du Code de l’organisation judiciaire et 65 de la Constitution, il estime qu’ « eu égard tant à la mission ainsi confiée par le législateur à la Cour de cassation, placée au sommet de l’ordre judiciaire, qu’aux rôles confiés par la Constitution à son premier président et à son procureur général, notamment à la tête du Conseil supérieur de la magistrature chargé par la Constitution d’assister le Président de la République dans son rôle de garant de l’autorité judiciaire, le décret attaqué ne pouvait légalement inclure la Cour de cassation dans le champ des missions de l’Inspection générale de la Justice sans prévoir de garanties supplémentaires relatives, notamment, aux conditions dans lesquelles sont diligentées les inspections et enquêtes portant sur cette juridiction ou l’un de ses membres ».
 
L’essentiel : Les textes régissant l’IGJ ne portent pas atteinte aux principes de séparation des pouvoirs et d’indépendance de l’autorité judiciaire ni au droit à un procès équitable en ce qui concerne les juridictions judiciaires du premier et du second degré. Doit en revanche être annulé, l’article 2 du décret en ce qu’il inclut la Cour de cassation dans le champ de la mission de l’Inspection.
Source : Actualités du droit