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Communication de décisions judiciaires pénales aux tiers à l'instance : les recommandations et rappels de la Chancellerie

Pénal - Procédure pénale
16/01/2019
Le ministère de la Justice rappelle les conditions dans lesquelles est autorisée, la délivrance de copie de décisions de justice par les greffes judiciaires aux tiers à l'instance, qu’il s’agisse du traitement des demandes individuelles ou des demandes de masse.
Comme le rappelle la Chancellerie au début de la présente note, l’accès aux décisions de justice participe à la mise en œuvre du principe de publicité de la justice, protégé notamment par l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme. Mais ce principe doit être concilié avec d'autres exigences, au rang desquelles la protection de l'ordre public, le droit au respect à la vie privée et la protection des données à caractère personnel, exigences qui sont également d'origine conventionnelle ou constitutionnelle. Et cet équilibre suppose la définition de règles spécifiques pour encadrer l'accès des tiers aux décisions de justice.

En matière pénale, le principe est que les décisions sont, par principe, prononcées publiquement et cette publicité implique un droit d'accès des tiers à la décision de justice. Mais plusieurs exceptions existent :
  • décisions couvertes par le secret de l’instruction (C. pr. pén., art. 11 ; à l’exception des débats devant le JLD ; C. pr. pén., art. 137-1 et 145) et de ceux devant la chambre de l’instruction ; C. pr. pén., art. 199, sauf demande d’audience publique par le majeur mis en examen) ;
  • jugements du juge des enfants rendus en chambre du conseil (art. 8, Ord. n° 45-174, 2 févr. 1945)
  • décisions des juridictions de l’application des peines prises en chambre du conseil ou dans le bureau du magistrat (C. pr. pén., art. 703, 711, 712-5, 712-6, 712-7 et 712-8) et les décisions des juridictions en matière de rétention et surveillance de sûreté (C. pr. pén., art. 706-53-15).
 
 
Décisions communicables en matière pénale

En matière criminelle, correctionnelle ou de police, les expéditions d'arrêts, jugements et ordonnances pénales définitifs, ainsi que les titres exécutoires, peuvent être délivrées à des tiers sans autorisation préalable. Mais toute délivrance de décisions non définitives (décisions frappées d'appel ou de pourvoi ou dont le délai d’appel ou de pourvoi n’est pas expiré) doit faire l'objet d'une autorisation du procureur de la République ou du procureur général (C. pr. pén., art. R. 156). Il est souligné qu'aucune obligation particulière de pseudonymisation n'est prescrite par l’article R. 156 du Code de procédure pénale, y compris pour la délivrance de copies de décisions non définitives.

Toutefois, plusieurs dispositions instaurent des restrictions à la publication des décisions :
  • décisions couvertes par le secret de l’instruction (C. pr. pén., art. 114-1 ; amende 10 000 €) ;
  • actes d’accusation et tous autres actes de procédure criminelle ou correctionnelle avant qu’ils aient été lus en audience publique (art. 38, L. 29 juillet 1881 ; amende 3 750 €) ;
  • identité du mineur accusé aux assises (C. pr. pén., art. 306 : interdiction de faire état de l’identité du mineur accusé dans les comptes rendus, sauf si les débats sont publics et que l’intéressé a donné son accord ; amende 15 000 €) et identité du mineur délinquant (art. 14, Ord. n° 45-174, 2 févr. 1945 : interdiction d’en faire état dans les comptes rendus et de mentionner son identité, même par une initiale, si la décision est publiée ; amende 15 000 €) ;
  • procès en diffamation, procès relatifs aux affaires familiales et en matière d’avortement (art. 39 L. 29 juill. 1881 ; amende 18 000 €. Seul le dispositif des décisions rendues en la matière peut être rendu accessible au public) ;
  • mineur en fugue, délaissé, s’étant suicidé ou victime d’une infraction pénale (art. 39 bis, L. 29 juill. 1881 ; amende 15 000 €, sauf si la publication est réalisée à la demande des personnes ayant la garde du mineur ou des autorités administratives ou judiciaires) ;
  • victime d’une agression ou d’une atteinte sexuelle (art. 39 quinquies, L. 29 juill. 1881 ; amende 15 000 €) ;
  • fonctionnaires de la police nationale, militaires, personnels civils du ministère de la Défense ou agents des douanes appartenant à des services ou unités spécialement désignés et dont les missions exigent, le respect de l’anonymat (art. 39 sexies, L. 29 juill. 1881 ; amende 15 000 €).
 
 
Procédure de communication des décisions de justice aux tiers

La Chancellerie rappelle ici plusieurs règles :
  • compétence des agents de greffe : la conservation des minutes et la délivrance des expéditions étant de la responsabilité du directeur de greffe de la juridiction ayant statué (C. org. jud., art. R. 123-5)
  • demande de communication : la demande est faite par lettre simple, par lettre recommandée avec accusé de réception ou par l'intermédiaire, pour les décisions pénales, du CERFA n° 12823*01. Toutefois, les demandes de copie de décisions pénales soumises à accord préalable du parquet doivent être soumises directement par écrit au procureur de la République ou au procureur général. Le refus de délivrance prend la forme d’une décision administrative motivée ;
  • forme de la communication : s'agissant des transmissions de jugements non sériels, et à titre transitoire jusqu’à la mise en place effective de la plateforme PLEXE, les décisions de justice pourront être adressées par voie électronique, les décisions communiquées devant immédiatement être supprimées des éléments envoyés. La communication des décisions de justice peut par ailleurs s’effectuer par voie papier ;
  • contenu de la communication : conformément aux dispositions spéciales de l’article 39 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse s'agissant des procès en matière d'avportement et des procès en diffamation, lorsque l'imputation concerne la vie privée de la personne, et plus généralement, à une pratique des juridictions, lorsque les débats ont lieu en chambre du conseil, il est recommandé de délivrer, pour les tiers, une copie de décision se limitant au seul dispositif du jugement, quant à lui prononcé publiquement ;
  • suivi de la communication : toutes les expéditions des décisions de justice délivrées en matière pénale (comme d’ailleurs en matière civile) doivent faire l'objet d'une mention marginale sur l'original de la décision ;
  • recours à l'encontre d'un refus de communication : en cas de refus de délivrance d'une copie par le greffier, l'intéressé peut saisir le président du tribunal de la juridiction concernée (CPC, art. 1441) ; en cas de refus de délivrance d'une copie par le procureur de la République ou par le procureur général, un recours administratif peut être exercé.
 
Traitement des demandes de masse

La diffusion de décisions en masse, entendue comme « répondant à des demandes dont il est manifeste qu'elles ne portent pas sur une ou plusieurs affaires en particulier, mais sur la jurisprudence de la juridiction dans une ou plusieurs matières » devra, selon la Chancellerie, « être en principe évitée ».

Le refus pourra trouver son fondement « dans des considérations liées à l'objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice et à la protection des données à caractère personnel ». Et, ce, pour deux raisons.
D’une part, il se déduirait des exigences de bonne administration de la justice, « qu'il ne saurait être donné suite à des demandes qui auraient pour objet ou pour effet de désorganiser le service du greffe de la juridiction, du fait notamment de la fréquence, de la masse ou de l'éloignement des archives permettant de traiter cette demande ». Il reviendra alors au directeur de greffe d'apprécier la gestion de ces demandes au regard de leur impact sur l'organisation des services du greffe et sur l’activité des agents désignés.

D'autre part, la délivrance massive de décisions serait susceptible de porter atteinte à la protection des données à caractère personnel : les décisions de justice comportent notamment des données dont le traitement est strictement encadré par les articles 8 et 9 de la loi dite Informatique et Libertés (L. n° 78-17, 6 janv. 1978, JO 7 janv.), tels que modifiés par la loi du 20 juin 2018 (L. n° 2018-493, 20 juin 2018, JO 21 juin), ayant tiré les conséquences du RGPD (Règl. (UE) n° 2016/679, 27 avr. 2016, JOUE 4 mai 2016, n° L 119/1). Ainsi, les articles 8 et 9 précités n’autorisent les traitements des données sensibles ou de nature pénale contenues dans les décisions de justice que lorsque ces décisions ont été diffusées sur le fondement de l'article L. 111-13 du Code de l’organisation judiciaire, c'est-à-dire en ligne et pseudonymisées. Ceci, sous réserve que ces traitements n’aient ni pour objet, ni pour effet de permettre la réidentification des personnes concernées.

Mais ces dispositions n’autorisent pas les copies de décisions sont délivrées directement et de manière massive par les greffes. La non-applicabilité de l’article L. 111-13 précité sur l'open data des décisions de justice faute de décret à cet effet ne saurait ainsi être contournée par un procédé de diffusion massive qui n'offrirait pas les garanties utiles à la protection des données à caractère personnel.
Source : Actualités du droit