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Procédure suivie pour un important trafic de stupéfiants : de l’ordonnance de renvoi au prononcé de la peine d’emprisonnement assortie d’une période de sûreté

Pénal - Procédure pénale
15/04/2019
Dans un arrêt rendu le 10 avril 2019, la Cour de cassation apporte des éclairages sur plusieurs points de procédure, dans le cadre d’une procédure au cours de laquelle le prévenu a soulevé la nullité du mandat d’arrêt ainsi que celle de l’ordonnance de renvoi.

Après évocation par la cour d’appel et retour du dossier au ministère public pour transmission au juge d’instruction aux fins de régularisation de la procédure, la juridiction du second degré est seule saisie de la procédure et, quelle que soit la terminologie utilisée par le magistrat instructeur dans son ordonnance de renvoi, l’affaire doit être à nouveau audiencée devant elle.

Justifie sa décision la cour d’appel qui, pour rejeter la demande de nullité d’un mandat d’arrêt, retient des motifs qui caractérisent que l’intéressé était en fuite au moment de la délivrance du mandat d’arrêt et que les faits qui lui étaient reprochés rendaient nécessaire et proportionné le recours à cette mesure.

Le prononcé d’une peine d’amende de 200 000 euros est justifié dès lors que le prévenu, contre lequel des recherches ont été entreprises, en vain, dès 2011, n’a comparu ni devant les premiers juges, ni devant la cour d’appel, et n’a fourni, ni fait fournir, à aucun de ces stades, à la juridiction, d’éléments sur le montant de ses ressources comme de ses charges.

En application des articles 132-1, 132-19 et 132-23 du Code pénal, des articles 485 et 593 du Code de procédure pénale, ainsi que des principes constitutionnels tels que dégagés dans la décision n° 2017-694 QPC du 2 mars 2018 (Cons. const., 2 mars 2018, n° 2017-694 QPC), la juridiction qui prononce une peine d’emprisonnement sans sursis doit en justifier la nécessité au regard de la gravité de l’infraction, de la personnalité de son auteur et du caractère manifestement inadéquat de toute autre sanction ; si la période de sûreté constitue une modalité d’exécution de la peine, il résulte du point 9 de la décision du Conseil constitutionnel n° 2018-742 QPC du 26 octobre 2018 (Cons. const., 26 oct. 2018, n° 2018-742 QPC ; v. Période de sûreté : conformité à la Constitution des dispositions de l’article 132-23 du Code pénal, Actualités du droit, 29 oct. 2018), qu’elle « présente un lien étroit avec la peine et l’appréciation par le juge des circonstances propres à l’espèce », de sorte que, faisant corps avec elle, elle doit faire l’objet d’une décision spéciale, et motivée lorsqu’elle est facultative ou excède la durée prévue de plein droit.

Toutefois, s’agissant de textes de procédure, l’objectif, reconnu par le Conseil constitutionnel, d’une bonne administration de la justice, commande que la nouvelle interprétation qui en est donnée n’ait pas d’effet rétroactif, de sorte qu’elle ne s’appliquera qu’aux décisions prononcées à compter du présent arrêt.

Telles sont les solutions énoncées par la chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 10 avril 2019.

Au cas de l’espèce, poursuivi pour des faits d’infractions à la législation sur les stupéfiants, association de malfaiteurs, blanchiment, et blanchiment douanier, un prévenu a soulevé la nullité du mandat d’arrêt et celle de l’ordonnance de renvoi. Le tribunal correctionnel a fait droit à l’exception de nullité s’agissant du mandat d’arrêt et s’est estimé non saisi par l’ordonnance de renvoi. En appel, la cour a annulé le jugement du tribunal et renvoyé l’affaire au procureur général aux fins de régularisation de la procédure. Deux pourvois sont successivement formés par le prévenu mais le président de la chambre criminelle dit n’y avoir lieu à examen immédiat du pourvoi. De nouveau saisie par ordonnance de régularisation du magistrat instructeur, la cour d’appel, par arrêt du 7 mai 2018, rejette les demandes en nullités présentées, déclare le prévenu coupable à l’exception des délits de blanchiment, et condamne l’intéressé à la peine de dix ans d’emprisonnement assortie d’une période de sûreté des deux tiers et à 200 000 euros d’amende. Un mandat d’arrêt est délivré contre lui et la confiscation des scellés est prononcée. Un pourvoi est formé contre l’arrêt du 7 mai 2018.

Cet arrêt est l’occasion pour la Cour de cassation de se prononcer sur plusieurs points importants :

Ordonnance de renvoi. Pour dire que la cour d’appel était valablement saisie de la procédure, l’arrêt a relevé que, par application de l’article 179 du Code de procédure pénale, le juge d’instruction ne peut, s’agissant de délit, que renvoyer l’affaire devant le tribunal correctionnel, que cette mention n’est pas attributive mais indicative de juridiction. En l’espèce le procureur de la République de Paris destinataire de cette ordonnance de renvoi a pu à bon droit adresser le dossier au procureur général près la cour d’appel de Paris afin qu’il soit transmis à nouveau devant la chambre des appels correctionnels, déjà saisie des faits.

En statuant ainsi, selon la Haute juridiction, la cour d’appel a justifié sa décision.

Perquisition. Pour rejeter la demande en nullité prise de ce que le procès-verbal de perquisition et de recherches infructueuses a été dressé par un agent de police judiciaire, hors la présence d’un officier de police judiciaire, l’arrêt relève que la perquisition réalisée en vue de l’exécution d’un mandat d’arrêt n’est fondée ni sur les articles 56 et suivants ni sur les articles 95 et suivants du Code de procédure pénale mais sur l’article 134 du même code, et constitue un acte procédural distinct d’une perquisition destinée à rechercher des preuves ou indices d’une infraction. Ce dernier article vise « l’agent » chargé de l’exécution du mandat. L’article D. 13 du même code prévoit notamment que les agents de police judiciaire ont pour mission d’assurer l’exécution des mandats d’amener, de dépôt, ou d’arrêt. La cour conclut que l’article 134 n’exige pas la présence d’un officier de police judiciaire pour assurer la mise à exécution d’un mandat d’arrêt et qu’ainsi la perquisition au dernier domicile connu de l’intéressé a été régulièrement réalisée.

La Haute juridiction considère qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a justifié sa décision. En effet, il résulte de la combinaison des articles 122, 134 et D. 13 du Code de procédure pénale que la perquisition visée par le deuxième de ces textes, effectuée pour l’exécution d’un mandat d’arrêt, peut être réalisée par un agent de police judiciaire.

Mandat d’arrêt. Pour rejeter la demande de nullité du mandat d’arrêt, l’arrêt a énoncé notamment que l’intéressé, dès les premières interpellations, a cessé d’utiliser ses moyens de communication, qu’une interception téléphonique démontre qu’il était informé de l’interpellation de ses complices, qu’au vu de ces circonstances, le juge d’instruction a délivré, un mandat de recherches qui n’a pu être mis à exécution, qu’en conséquence ce magistrat a pu régulièrement délivrer un mandat d’arrêt, la gravité des faits qui lui sont reprochés, à savoir des infractions à la législation sur les stupéfiants, et notamment l’importation de plusieurs centaines de kilogrammes de cannabis alors qu’il se trouvait en état de récidive légale, rendant nécessaire et proportionné le recours à cette mesure.

Énonçant la solution susvisée, la Haute juridiction approuve les juges du fond.

Peine d’amende. Pour condamner le prévenu à la peine de 200 000 euros d’amende, l’arrêt a énoncé qu’il était tenu compte des gains occultes générés par un important trafic de cannabis et que le montant de l’amende était proportionné à l’importance des quantités de cannabis traitées par l’intéressé.

Prononcé de la période de sûreté. Pour prononcer une peine d’emprisonnement de dix ans et l’assortir d’une période de sûreté des deux tiers, les juges ont retenu que la nature des faits, leur gravité et les éléments de personnalité recueillis sur le prévenu rendaient nécessaire le prononcé d’une peine d’emprisonnement ferme afin de sanctionner de façon appropriée les délits commis à l’exclusion de toute autre sanction qui serait manifestement inadéquate dès lors que les faits d’infractions à la législation sur les stupéfiants sont de ceux qui troublent gravement et durablement l’ordre public et la santé publique, s’agissant d’une quantité très importante de cannabis, et dès lors que le trafic auquel s’est livré l’intéressé a perduré pendant de nombreux mois et qu’il a mis en place avec deux autres personnes une organisation transnationale permettant l’importation massive de ce produit ; qu’il se trouvait en état de récidive légale et qu’il n’a, à aucun moment de la procédure, pris la décision de venir s’expliquer devant ses juges témoignant ainsi d’une absence de volonté d’amendement ou de réinsertion, son avocat ne versant aucune pièce relative à sa situation personnelle actuelle.

Énonçant la solution susvisée, la Haute juridiction apporte quelques précisions, notamment quant aux effets de la décision du Conseil constitutionnel du 26 octobre 2018.

Par June Perot

Source : Actualités du droit